quinta-feira, 8 de agosto de 2019


J'ai oublié le mot que j'avais voulu dire.
Aveugle, l' hirondelle retourne chez les ombres
Pour jouer, ailes coupées, avec les translucides.
Le chant nocturne naît quand la mémoire succombe.

Plus d'oiseaux. L'immortelle ne veut plus fleurir.
Transparentes crinières du troupeau de la nuit.
Sur le fleuve tari vogue una barque vide.
Au milieu des grillons le mot s'est évanoui.

Lentement il repousse comme un temple ou un mât;
Tantôt, telle Antigone en folie, il se démène,
Tantôt, morte hirondelle, à mes pieds il s'abat
Avec un rameau vert et la douceur stygienne,

Ah, rendre la pudeur aux doigts extra-lucides
Et la saillante joie de la re-connaissance.
Je redoute si fort les pleurs des Aonides,
Le carillon, la brume et la béance.

Reconnaître et aimer, les mortels ont ce pouvoir,
Dans leurs doigts le son coule ainsi qu'une onde;
Mais ce que je veux dire échappe à ma mémoire,
Et sans chair la pensée reviendra chez les ombres.

Limpide, d'autre chose elle parle sans fin,
Hirondelle, mon amie, Antigone...
Et seul le souvenir du carillon stygien
Sur mes lèvres, comme un gel noir, brûle et résonne,


  Mandelstam, Ossip. Poèmes. Paris: Éditions Librairie du Globe, 1992, p 71 (Traduit du russe par Henri Abril).


.