(...). Tout est rêve, pensait-il, on traverse la vie en rêve, tout est trop dur, trop dur. La mort réfute l'induction. Il n'y a pas de "ça" qui permette de dire que tout ça compte. Il y a juste le rêve, sa texture, son essence, et à travers nos dernières affaires nous subsistons seulement dans le rêve d'un autre, une ombre dans une ombre, s'effaçant, s'évanouissant, s' effaçant. Il était étrange de penser que Janie et Gwen et sa propre mère, et Maureen pour autant qu'il le pouvait savoir, existaient maintenant plus intensément, plus réellement, ici, dans son esprit, que n'importe où ailleurs dans le monde. Elles font partie de mon rêve de vie, pensait-il, immergées dans ma conscience comme des spécimens conservés dans la formaline. (...) Cette matière du rêve, si intensément la matière de son rêve, allait s'évaporer, à un moment donné, et c'en serait fait d'elle, et personne ne saurait jamais à quoi elle avait pu ressembler. Tout l'effort qu'il avait apporté à se faire lui-même paraissait n'être que vanité maintenant qu'il n'y avait plus rien à entreprendre. Si dur il avait travaillé, apprenant l'allemand, apprenant l'italien. Il lui semblait maintenant que tout avait été vanité, un désir éprouvé en vue d'un moment qui n'arrivait jamais, de faire impression sur quelqu'un, de réussir, d'être admiré. Janie parlait l'italien d'une manière si belle.
Au fur et à mesure (...) n'y a-t-il réelement rien, en dehors du rêve?
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Murdoch, Iris. Le rêve de Bruno. Paris: Éditions Gallimard, 1971, pp 20-21.
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